CHARLOTTE-ALBERTINE MARA(T)
 



CHARLOTTE - ALBERTINE MARA(T), LA SŒUR CADETTE



La lecture de ce texte doit être complétée par celle du texte concernant la biographie de  Simonne Evrard, la femme de Marat et  par celle des documents centrés sur leurs rôles pour défendre la mémoire et les écrits de Marat

après son assassinat


par Charlotte Goëtz-Nothomb


© POLENORDGROUP



«Extérieurement, c’était une petite femme grêle, le visage rond, le regard perçant, vif et scrutateur ; le teint hâve, mat, un peu bistré, les traits forts et brusqués, en somme laide. Sa petite taille, son air chétif, sa tenue, droite comme un jonc, tout cela surmonté par une tête dont l’expression et la grandeur de ses yeux noirs contrastaient singulièrement avec le reste de sa personne, produisait un effet saisissant chez tous ceux qui l’ont vue ; l’ensemble de sa figure portait l’empreinte d’une rare énergie. La ressemblance avec son frère, d’après Boze, était frappante.»

(lettre de Goupil-Louvigny à François Chèvremont du 11 juin 1866)  



Le mardi 1er Juillet Monsr Henri-David Petitpierre a batizé Charlotte-Albertine fille de Sr Jean Mara & de Louise Cabrol: Parrain Monsr Jean Frederik de Montmollin. Marraine: Mme Charlotte Albertine Puri représentée par Mme Marie Barbe Montmollin [1]


Cet événement se passe à Neuchâtel, en Suisse, en 1760. Comme souvent, la fillette porte les prénoms de sa marraine mais, à travers les documents, il apparaîtra que le prénom d’Albertine sera plus souvent utilisé.


Après les séjours à Yverdon, Boudry et Neuchâtel, la famille Mara revient à Genève en 1768.

Albertine a 8 ans et son petit-frère Jean-Pierre, un an.

Jean-Paul, le fils aîné, a quitté les siens depuis 9 ans – donc peu de temps avant la naissance d’Albertine. Marianne (26 ans), Marie (22 ans) et David (12 ans) vivent en famille. Celle-ci compte donc au moins cinq enfants présents à Genève, dans le domicile de la maison Fine, «au Perron».

David entamera des études à l’Académie des Belles-Lettres en 1773. On n’a pas de trace des activités des deux autres garçons: Henry (23 ans), Pierre (15 ans). On sait que ce dernier qui a été éborgné par un boucher quand il avait 10 ans est aussi celui qui a causé du souci à sa famille, lors de l’affaire Gaudot en 1768. Frédéric-Samuel Ostervald, directeur de la Société typographique de Neuchâtel et ami de la famille, avait aidé les parents à lui trouver un placement à Fresens. Ce dont Jean Mara l’avait vivement remercié. [2]


Faisons un bond dans le temps. Sur le plan professionnel, les deux cadets acquerront des compétences dans le domaine de l’horlogerie. À Paris, après l’assassinat de son frère, c’est en tant que fabricante d’aiguilles qu’Albertine contribuera à sa survie et à celle de Simonne Evrard [3], la femme de Marat.

Où et chez qui Albertine et Jean-Pierre ont-ils été formés en horlogerie ? La question est ouverte.


La vie familiale à Genève

Avant la mort de son épouse, Louise Cabrol, le 26 avril 1782, avant son propre décès en janvier 1783, Jean Mara a entretenu une correspondance suivie avec F.-S. Ostervald et la Société typographique de Neuchâtel. En effet, celle-ci lui a d’abord demandé d’être son traducteur pour l’espagnol; ensuite, elle lui confiera des missions de confiance comme la recherche de presses, le recrutement d’ouvriers, etc. Jean Mara accepte volontiers ces activités auxquelles il donne même la priorité. Dans les lettres où il explique ses démarches, il parle parfois de la vie familiale dans laquelle est plongée Albertine. La lettre la plus détaillée date du 15 novembre 1775 [4]. Jean Mara y exprime sa fierté envers Jean-Paul, qui vient d’obtenir son diplôme de médecin en Écosse et dont il attend la copie du livre «De l’Homme ou des principes et loix de l’influence de l’ame sur le corps et du corps sur l’ame», imprimé chez Marc-Michel Rey à Amsterdam. En post-scriptum, il signale que Jean-Paul a ajouté un t final à leur nom «pour ne pas être confondu avec les Mara Irlandois, dont il ne se soucie gueres». Dans ce courrier, Jean Mara se dit fier aussi de David qui vient d’entrer en première année de philosophie [5]. Marianne «travaille en modes» et Marie «vaque aux affaires du ménage avec sa Mere». Par des témoignages ultérieurs, on sait qu’Albertine était la sœur préférée de David, cette «petite sœur» dont il garde, accroché au mur de son logis quand il vivra à Saint-Pétersbourg, un portrait qu’il a dessiné de sa main.


En 1776, une trace précise atteste d’un retour de Jean-Paul Marat parmi les siens. On pourrait presque dire: pour les 20 ans d’Albertine! Dans une lettre qu’il envoie le 14 mai à F.-S. Ostervald, il parle de ses livres et dit le bonheur de se retrouver en famille [6]. Deux voisins, MM. Revaclier et Moré, interrogés en 1793, se souviennent bien de sa présence à Genève, ils font même allusion à d’autres séjours, «je l’ai vu très souvent chez son père, avec le reste de la famille».


J’ai connu aussi un troisième frère, dont j’ignore le nom. Il vint chez son père, dans la maison Fine, dans le temps que j’y habitais. C’était un homme fort éveillé, de petite taille, d’une démarche peu assurée. Comme il y a nombre d’années de ce dont je parle, je ne puis pas me rappeler d’autres particularités sur sa figure. Il se donnait pour médecin et j’ai ouy dire qu’il était médecin de M. le comte d’Artois. Il avait du talent, un grand esprit, il faisait des expériences. Il m’a fait limer des pièces d’acier d’une machine à laquelle il travaillait. [7]


Il est donc avéré qu’Albertine a été en contact direct, et vraisemblablement à plusieurs reprises, avec son frère aîné.


De grands changements dans le parcours d’Albertine

Les années 1782-1784 vont marquer un grave tournant dans la vie des Mara. En avril 1782, la correspondance avec F.-S. Ostervald fait état de la situation politique à Genève. Jean Mara parle de dissensions puis des tumultes civiques et du crépitement des armes. Le même mois, Louise Cabrol s’éteint. Et le 21 juillet de la même année, Marie Mara épouse Gédéon Brousson, finisseur de dentures.

Fin janvier 1783, c’est Jean Mara qui décède des suites d’une maladie inflammatoire.

Gédéon Brousson devient alors le conseiller curatélaire d’Albertine et de Jean-Pierre, avec le voisin Jacob Moré, qui en témoigne :


J’ai été choisi comme conseiller curatélaire des enfans mineurs du Sr Mara à sa mort, et en cette qualité, j’ai une connoissance particulière du cadet qui se nomme Jean-Pierre. [8]


Quand David part pour la Russie en 1784, Albertine a 24 ans. Deux ans plus tard, un document nous fournit une indication sur ses activités professionnelles. Le 7 octobre 1786, un Acte d’association est conclu pour une durée de cinq années et à partir du 1er novembre entre le sieur Jean-Louis Moré, maître horloger, natif, et Dlle Albertine Marat, native de Neuchâtel, fille majeure de feu Jean Marat, habitant de Genève. Elle s’engage à lui enseigner tout ce qui concerne son art de faiseuse d’aiguilles, «autant qu’il le puisse comprendre». Soulignons que l’acte est bien signé Albertine Marat, avec le t final. En voici le texte :


Notaire Jean-André CHENAUD


Dudit jour 7e d’octobre 1786 après midi ont comparu en personne M. Jean-Louis Moré, mtre horloger natif, d’une part ; et Dlle Albertine Marat native de Neuchâtel, fille majeure de feu Jean Marat habitant de Genève d’autre part ; lesquels ont dit et déclaré d’avoir formé entre eux une société pour le commerce d’horlogerie et d’aiguilles de montres, sous les conditions suivantes :

1ement le terme de la présente société a été fixé entre les parties à cinq années continuelles à commencer le 1er de novembre prochain pendant ce terme chacun des associés travaillera assidument et fidelement de leur profession respective pour le plus grand bien et avantage de leur société particulièrement la Dlle Marat s’oblige d’enseigner audit sieur Moré tout ce qui concerne son art de faiseuse d’aiguilles de montres autant qu’il le puisse comprendre ;

2° Tous les profits que feront les associés se partageront par moitié comme les pertes et frais et dépenses achat d’outils de la société le supporteront également entre eux et seront à la société.

3° Tiendront les associés dans leurs professions respectives autant d’apprentis, d’ouvriers et d’ouvrières qu’ils pourront dire bénéficier entrera dans la présente société.

4° Il ne se fera aucun… [ ?] ni aucune affaire par l’un des associés concernant leur profession sans le consentement réciproque.

5° Le sr Moré s’engage de mettre en fonds dans la présente société la somme de deux cents écus pour laquelle somme, il prélèvera chaque année seize écus pour intérêts.

6° Tous les six mois les comptes de la présente société devront être réglés le sieur Moré tiendra la caisse et la Dlle Marat les livres. Enfin s’il venait à l’élever quelques difficultés au sujet de la présente société, les associés promettent de s’en rapporter à la décision de deux arbitres dont ils feront choix qui pourront choisir entre eux un sous arbitre à la décision desquels ils promettent de se soumettre comme à un jugement définitif et souverain à peine pour la partie qui ne voudrait pas acquiescer de payer trente louis avant que de pouvoir appeler de la sentence arbitrale. Le terme ainsi convenu à l’obligation.


Exposée à Genève au domicile de la Dlle Marat

Présents Busin et Etienne Artaud, citoyen, témoins requis et…, avec les parties devant nous.


Signatures :

J.Louis Moré      Albertine Marat     Pradon      F.G. Busin     Etienne Artaud    Chenaud [9]



Entre 1786 et 1793, nous savons peu de choses sur les activités des autres enfants Marat.


Après l’assassinat de Jean-Paul, Jean-Pierre et Marianne réapparaissent à plusieurs reprises et en 1794, un document apporte une indication sur Henry, dont on avait perdu toute trace. Il s’est marié puisqu’il se voit délivrer par le greffe baillival de Lausanne, en tant que négociant venant de Boudry, un passeport pour aller à Genève et Pays, accompagné de son épouse. En 1794, Henry Mara se trouverait donc encore en relations avec Boudry. [10] Ce qui reste étonnant, c’est qu’aucune trace de correspondance n’ait été retrouvée entre les membres de cette famille, où tous écrivent sans difficultés, David en particulier.


Après la mort de Jean-Paul Marat

Venant de Suisse, les membres de la famille Marat ne parviendront pas à Paris le 16 juillet 1793, jour des funérailles de l’Ami du peuple, dont la mise en scène, grandiose, a été coordonnée par le peintre Jacques-Louis David et le patriote Pierre-François Palloy.

Les démarches qu’a dû faire Jean-Pierre Marat pour rejoindre la capitale française, avec sa ou ses sœurs, sont connues. Il lui fallait d’abord obtenir un acte authentifiant qu’il était bien le frère du député assassiné, ce qui a pris un certain temps.


«Nous, président et autres membres du Comité provisoire d’administration de la Ville et République de Genève, ayant vu la requête à nous présentée par Jean [Jean-Pierre] Mara, horloger, demeurant à Genève, fils de feu Jean Mara de Cagliari en Sardaigne, réélu habitant de Genève, le vingt-troisième janvier mille sept cent soixante sept, issu en légitime mariage dudit Jean Mara et de Louise Cabrol: ainsi qu’il résulte des titres joints à sa requête dans laquelle il conclut à ce qu’il lui soit accordé acte et certificat authentique qu’il est frère du citoyen Mara qui a été, dit-on, assassiné à Paris, il y a peu de jours. Ayant ouï le rapport du citoyen de Rochemont, secrétaire d’Etat, par nous commis pour ouïr plus particulièrement le requérant; vu le procès-verbal par lui dressé de l’information qu’il a faite en exécution de sa commission et les dépositions des citoyens Moré et Revaclier, témoins assignés et assermentés ; attendu qu’il résulte suffisamment des titres et des témoignages produits par le requérant qu’il est fils de Jean Mara de Cagliari en Sardaigne, habitant de Genève, et de Louise Cabrol, de Genève, et qu’il avait un frère aîné vivant à Paris, que la notoriété publique désigne comme étant membre ci-devant de la Convention nationale de France, et qu’on dit avoir dernièrement été assassiné à Paris ; nous avons jugé qu’il était conforme à la justice de lui accorder l’acte de vérité qu’il requiert.


En foi de quoi nous avons donné les présents sous le sceau de la République et le seing du secrétaire d’Etat, le vingtième de juillet mille sept cent quatre-vingt-treize, l’an second de l’Egalité.


DE ROCHEMONT                       PUERARI

Égalité – Liberté - Indépendance


Jean-Louis SOULAVIE, citoyen français

Résident de la République Française, une et indivisible près la République de Genève.


Je certifie que les citoyens de Rochemont et Puerari sont secrétaires d’État de cette ville


Genève, le 19 juillet 1793, l’an 2 de la République Française [11]


Les membres de la famille ne sont pas encore à Paris pendant les procédures de mise sous scellés, levée des scellés, remise sous scellés… (13-26 juillet 1793) au 30 de la rue des Cordeliers, dans cet immeuble du XVIIe siècle, appelé aussi «Hôtel de Cahors» et dans lequel se trouve le domicile de Simonne Evrard, où logeait Marat.


À Paris, dès que la Commune a appris l’attentat, Jacques-René Hébert, substitut du Procureur de la Commune et rédacteur du Père Duchesne, a fait pression pour que les scellés soient très rapidement apposés sur les affaires de Marat et ce, sans attendre la présence familiale.

Le samedi 13 juillet en soirée, Claude-Louis Thuillier, juge de paix de la section du Théâtre-Français et Antoine-Marie Berthout, secrétaire greffier se rendent rue des Cordeliers et posent les scellés sur les meubles et les effets appartenant à Marat, non sans évoquer le prétexte de conserver les droits des appelés à la succession dudit citoyen Marat. Bien évidemment, cette question des héritiers préoccupe les autorités.


Etant indispensable que les héritiers du citoyen Marat soient représentés à la levée des scellés et aux autres opérations qui suivront, le citoyen Lulier, procureur-syndic du département, a dit que cette représentation appartenait au département ; qu’il ferait nommer un commissaire par le directoire, tant pour représenter lesdits héritiers que pour faire faire à part la distraction et l’inventaire des papiers intéressant la République, et qu’elle aurait intérêt à connaître. [12]


Mais la précipitation d’Hébert ne sera pas du goût de la Convention qui, deux jours plus tard, ordonne la levée de ces premiers scellés. Après tergiversations et courrier entre le ministre de la Justice et le président du comité de salut public, de nouveaux scellés sont apposés en présence d’huissiers et de Simonne Evrard.

Le 26 juillet a lieu une nouvelle levée des scellés par le juge de paix de la section du Théâtre-Français, toujours en l’absence de la famille. Le procureur-syndic avait bien signifié que leur représentation appartenait au département et qu’un commissaire devait être nommé à cet effet. Mais ce commissaire ne sera finalement désigné qu’en vertu du fameux arrêté spécial du 23 juillet.

Drouet et Guffroy seront investis de toutes les obligations de représentation.


La famille n’est pas encore sur place le 2 août 1793, quand le comité de sûreté générale procède à l’examen des papiers. Simonne assume seule toutes ces opérations compliquées, la dernière aboutissant à une description, dite «sommaire», qui mêle les ouvrages politiques et scientifiques. En voici le libellé :


CONVENTION NATIONALE

Comité de Sûreté générale et de Surveillance de la Convention nationale


Du 2 août 1793, l’an second de la République française une et indivisible


Vu au comité des scellés apposés par procès-verbal du jour d’hier sur le sac où se trouvaient renfermés les papiers trouvés en la possession de la citoyenne Evrard, veuve de Jean-Paul Marat, représentant du peuple, après avoir trouvé lesdits scellés sains et entiers, il a été procédé au triage et à l’examen d’iceux ; en conséquence, il a été procédé à leur description sommaire ainsi qu’il suit :

1° Nous avons, en la présence de ladite citoyenne Evrard, mis à part en sept liasses différentes, toutes les lettres, mémoires, notices, journaux dépareillés et réclamations qui avaient été adressés au citoyen Marat.

2° Trente-huit pièces ou chemises relatives à la trahison du général Custine.

3° Sept autres mémoires ou lettres adressées tant au citoyen Marat qu’au ministre, concernant des objets de sûreté générale.

4° Les ouvrages du citoyen Marat, consistant en un volume in-8°, contenant 323 pages, intitulé : Mémoire sur les expériences que Newton donne en preuve du système de la différente réfrangibilité des rayons hétérogènes.

Un autre volume in-8°, contenant 201 pages, intitulé : Recherches physiques sur le feu, avec notes manuscrites.

Un sac contenant un ouvrage manuscrit qui devait être intitulé : L’Ecole du Citoyen, ou Histoire secrète des machinations de la cour, de l’Assemblée constituante, du Club monarchique, des généraux et des principaux ennemis de la liberté qui ont figuré dans la Révolution.

Un autre ouvrage, aussi manuscrit, intitulé : Analyse de différents systèmes sur le feu, la chaleur, congélation et thermomètre.

Un autre manuscrit, intitulé : Les Chaînes de l’esclavage.

Un autre ouvrage, partie imprimée, partie manuscrite, intitulé : Découvertes sur la Lumière, constatées par une suite d’expériences nouvelles.

Un rouleau de trois ou quatre feuilles de papier détachées, avec ce titre : Histoire de la Révolution.

Une autre liasse dans laquelle se trouvent plusieurs ouvrages détachés, l’un sur la physique intitulé : Cristaux d’Irlande et du Brésil.

Un autre, Discours sur le moyen de perfectionner l’Encyclopédie.

Plusieurs feuilles détachées, manuscrites et imprimées, qui paraissent relatives à l’ouvrage ci-dessus, L’Ecole du citoyen.

Une autre liasse de petites notes, destinées pour un ouvrage intitulé : Administration des finances.

Un autre manuscrit in-4°, sur la première feuille duquel se trouve écrit : Ma correspondance.

Telle est la description des papiers et ouvrages qui se trouvaient déposés dans le sac ci-dessus mentionné. En foi de quoi, ladite citoyenne Evrard a signé avec nous.

Signé : S. Evrard et Guffroy


Pour copie conforme

Signé : Bax, secrétaire


Vu l’état et l’inventaire ci-dessus, le Comité arrête que les papiers relatifs à Custine mentionnés article 2° et ceux décrits article 3° resteront déposés aux archives du Comité de sûreté générale et que le surplus des papiers et manuscrits de Jean-Paul Marat sera remis à la citoyenne Evrard avec copie du présent inventaire et arrêté.


Les représentants du peuple membres du Comité de Sûreté générale de la Convention. [13]


Perplexité devant cette description

Héritage périlleux à gérer que celui de Marat, qui en douterait ?

Face aux manques criants dont tout chercheur, aujourd’hui encore, doit s’accommoder en ce qui concerne les travaux et les œuvres de l’Ami du peuple, le document qui précède suscite, d’entrée de jeu, plus que de l’étonnement. Certes, il se déclare la description exacte de ce qui a été mis sous scellés. Mais du 13 au 26 juillet, ont eu lieu une première mise sous scellés, sa levée, une seconde mise sous scellés puis cette seconde levée. Toutes ces opérations se succèdent très rapidement, font intervenir beaucoup de personnes, des députés de la Convention, des membres du comité de sûreté générale, de la Commune, des créanciers… et un thème revient en permanence : il y aurait sous ces scellés des pièces qui intéressent la sûreté publique. Raison pour laquelle, le comité a pris le 23 juillet cet arrêté spécial pour que les papiers de Marat soient saisis, examinés et triés.

En l’absence des héritiers, on peut penser que Simonne Evrard a vu partir avec inquiétude tous les papiers de Marat, avant de pouvoir assister, le 26, au comité de sûreté générale, à la séance qui aboutit au texte de description sommaire repris ci-dessus.


Quand on observe cette description, on n’y retrouve pas précisés les titres de manuscrits comme Les Aventures du jeune comte Potowski, L’Éloge de Montesquieu ou Les conséquences de physiologie ou de psycologie (sic) qu’on retrouvera pourtant plus tard dans la famille ou confiés à M. Goupil-Louvigny. La ou les collections des journaux destinées à la réédition prévue et annoncée sont reprises sous le label : journaux dépareillés, ce qui est court. Et pourquoi ne pas décrire ce que recouvre ces 7 liasses : lettres, mémoires, notices, et réclamations ? D’autre part, on n’a plus aucune trace de certains textes signalés.

Devant les incroyables carences de la Correspondance - des lettres de et vers Marat resurgissent aujourd’hui encore dans des ventes publiques - il est difficile de ne pas considérer que le matériel retiré à la veuve était plus important, ce qui semble logique pour un journal quotidien au cœur des affaires. Mais ceci ne fait qu’apporter une pierre de plus à notre conviction que le puzzle Marat est toujours incomplet.


Les débuts de l’alliance entre Charlotte-Albertine Marat et Simonne Evrard

Charlotte-Albertine (33 ans) et Jean-Pierre (25 ans) Marat arrivent enfin à Paris après la deuxième levée des scellés.

Avant toute chose, par une lettre datée du 22 août 1793 et publiée le 26 dans le Journal de La Montagne, ils réaffirment et Marie-Anne signe avec eux -qu’ils considèrent Simonne comme une sœur :


Quoique déjà convaincus des importants services rendus par la citoyenne Evrard au citoyen Marat, son époux, nous avons cru nécessaire, pour donner à cet acte toute l’authenticité qu’exige notre reconnaissance, d’appeler en témoignage les personnes qui ont connu la situation où était réduit notre frère, par les sacrifices qu’il avait faits pour coopérer à la Révolution.

Pénétrés d’admiration et de reconnaissance pour notre chère et digne sœur, nous déclarons que c’est à elle que la famille de son époux doit la conservation des dernières années de sa vie ; que sans elle, il eût succombé dans l’abandon et la misère. Puisque la famille de Marat ignorait alors l’état où était l’infortunée victime, que ce n’est pas seulement pour avoir consacré sa fortune et ses soins à sa conservation, avoir partagé héroïquement ses périls et l’avoir soustrait pendant longtemps par sa vigilance aux pièges que l’aristocratie lui tendait, et à l’opprobre dont elle cherchait à le couvrir, mais pour avoir rendu cet infatigable citoyen à la dignité de ses fonctions : nous déclarons donc que c’est avec satisfaction que nous remplissons les volontés de notre frère en reconnaissant la citoyenne Evrard pour notre sœur, et que nous tiendrions pour infâmes ceux de sa famille, s’il s’en trouvait quelqu’un, qui ne partageât pas les sentiments d’estime et de reconnaissance que nous lui devons ; et si, contre notre attente, il pouvait s’en trouver, nous demandons que leurs noms soient connus, afin de ne pas partager leur infamie.


Fait à Paris, ce 22 août, l’an II de la République Française.

Signé : Marie-Anne MARAT, femme Olivier ; Albertine MARAT ;

Jean-Pierre MARAT. [14]


On n’a pas de certitude sur la présence effective de Marie-Anne [15] à Paris, la lettre pouvant avoir été  écrite et signée en Suisse. Mais le document fait comprendre que Marat avait communiqué à sa famille ses volontés concernant Simonne. Qu’il n’ait pas voulu impliquer davantage les siens par les temps d’orages politiques est compréhensible, certains d’entre eux ne le désirant pas ou, comme David en Russie, se trouvant contraint de solliciter un pseudonyme. La discrétion de Marat doit se mesurer aux risques que son action d’homme public fait courir à tous moments à l’entourage proche. En effet, si on fait un bilan des quatre années de révolution, il ne faut pas oublier que Marat n’a été libre que 397 jours et sous décret d’accusation tout le reste du temps, soit 1064 jours, dont 200 se présentent dans la plus grande confusion, soit qu’on le considère comme libre, parce qu’il est député, soit qu’on considère qu’il ne devrait pas être député puisqu’il est décrété, soit enfin qu’on essaye de lui faire endosser un nouveau décret pour l’exclure de l’Assemblée. [16]


Marat mort, les trois signataires désirent d’abord mettre Simonne à l’abri des indélicatesses ou d’éventuels malentendus sur son statut. Marat la considérait comme sa femme et tenait à l’affirmer ouvertement, à défaut d’avoir pu officialiser la situation. Les frère et sœurs insistent aussi sur l’aide matérielle qu’elle a apportée à Marat. On mesure d’autant plus l’importance et la valeur du rapprochement qui va se produire entre Charlotte-Albertine et Simonne que cette lettre contient aussi une mise en garde contre l’un ou l’autre membre de la famille qui pourrait ne pas partager les «sentiments d’estime et de reconnaissance» envers Simonne et peut-être réclamer indûment une part de l’héritage.


Décryptage du contexte politique

Une fois à Paris, Albertine mesure la complexité et la gravité de la situation politique. Alors qu’une coalition militaire internationale menace de l’envahir, la France est rongée par la guerre civile, la trahison de ses généraux et les luttes de factions, se réclamant toutes du civisme, du patriotisme.

Divers courants, longtemps mal différenciés, se disputent le pouvoir, se heurtent, s’associent, se combattent, s’éliminent. Marat, qui n’a jamais été que son propre courant, risque sans cesse d’être agglutiné à tel ou tel d’entre eux, emblème, effigie, écran, façade. Des travaux récents [17], en faisant appel au recoupement des sources archivistiques et aux témoignages, y compris dans leur évolution, commencent à donner des délimitations plus exactes des forces en présence, Clubs, comités, factions… Ils introduisent des points de vue plus nuancés sur la situation des masses populaires, leur maturité comme leurs fragilités, leurs peurs comme leurs initiatives. Par exemple, l’entité «sans-culottes», longtemps fusionnée avec les séditions tous azimuts ou a contrario idéalisée comme porteuse privilégiée du devenir social, prend des contours moins schématiques [18].


Quant à Marat, pendant la période qui précède son assassinat, en partie en raison d’une nouvelle poussée de sa maladie inflammatoire, mais surtout par conscience politique suite au rôle très marqué qu’il a joué dans l’éviction des «Hommes d’État» (Girondins), il s’est mis en retrait, se polarisant sur son journal.

Si l’affection et la reconnaissance d’une bonne partie du peuple lui reste solidement acquise  - il a prédit tant d’événements néfastes, il a résisté à tant de courants destructeurs - sa lucidité et sa totale absence de langue de bois, sa tactique toujours crûment politique, inquiètent ceux qui se poussent du col.

Marat, agent du despotisme ; Marat, vendu à d’Orléans ; Marat, espion anglais ; Marat, agitateur enragé, exagéré ; Marat, pousse-au-crime… il ne se trouvera pas assez d’injures pour le descendre en vrille. À ce moment Marat est fort en butte à ceux qu’il nomme «les faux patriotes», lesquels, en cette période d’anarchie, se révèlent aussi avides de pouvoir, aussi désireux de devenir les grands faiseurs que ne l’étaient les «Hommes d’État». Jusqu’à sa mort, Marat restera ainsi partagé entre la crainte qu’on l’accuse indéfiniment de ne vouloir qu’une dictature et l’inefficacité des patriotes. Sa suspension volontaire est justifiée par la nécessité de faire taire toutes ces horreurs répandues sur son compte. Elle se double d’un ultime essai de Marat de refonder la société civile, mise en pièces par la guerre extérieure, la question des finances et celle des subsistances. Il s’est aussi rendu compte qu’une fausse revendication de la «souveraineté», mise en coupe par les arrivistes nouvelle vague, est une donne récente de la stratégie politicienne. 


Après l’assassinat, Simonne puis Charlotte-Albertine vont se trouver au centre d’un tourbillon où se mêlent les panégyriques et les initiatives pour voler la notoriété de Marat, de son journal et du personnage de l’Ami du peuple en particulier.

Qui sont ces nouveaux contrefacteurs ? Mais précisément ceux-là dont Marat s’est violemment démarqué dans son Publiciste de la République française, n° 233 du 4 juillet 1793 :


«Le plus cruel des fléaux que nous ayons à combattre pour faire triompher la liberté, ce n’est point les aristocrates, les royalistes, les contre-révolutionnaires, mais les faux patriotes exaltés qui se prévalent de leur masque de civisme, pour égarer les bons citoyens et les jeter dans des démarches violentes, hasardées, téméraires et désastreuses.


Ces intrigants ne se contentent pas d’être les factotums de leurs sections respectives, ils s’agitent du matin au soir pour s’introduire dans toutes les sociétés populaires, les influencer et en devenir enfin les grands faiseurs.


Tels sont les trois individus bruyants qui s’étaient emparés de la section des Gravilliers, de la Société fraternelle et de celle des Cordeliers. Je veux parler du petit Leclerc, de Varlet et de l’abbé Renaudi, soi-disant Jacques Roux.»


Juste après l’assassinat, Jacques Roux entame une publication sous le titre Publiciste de la République Française, par l’Ombre de Marat, l’Ami du peuple, même format, même épigraphe ; il reprend la feuille au n° 243, et poursuit l’entreprise jusqu'au n° 260, c'est-à-dire pendant dix-huit jours.

Leclerc, lui, se fait rédacteur, à partir du 20 juillet 1793, d’un Ami du Peuple qui, tout à l’opposé de l’attitude de Marat dans le nouveau contexte, sème l’agitation dans les sociétés populaires et pousse au désordre anarchique. [19]


De là, l’intervention très déterminée de Simonne Evrard à la tribune de la Convention nationale, le 8 août 1793, pour mettre un terme à ces entreprises. [20]

En effet, si on a souligné que Robespierre, en introduisant la veuve de Marat à la Convention, servait son propre souhait d’en découdre avec des factieux importuns, il n’empêche que Simonne, pour sa part, est très au fait de l’ensemble des événements passés et présents et mesure fort bien les menaces qui pèsent sur l’héritage politique de Marat.


Premiers pas de Charlotte-Albertine sur le terrain politique

La sœur de Marat aussi se rend très vite compte du danger qu’elle court d’être manipulée. De Genève, Jean-Louis Soulavie, dont le rôle politique incite le chercheur à beaucoup de vigilance, a déjà pris le jeune Jean-Pierre sous sa tutelle. Il a écrit au Club des Cordeliers, afin qu’il accueille le frère et la soeur de Marat. Dans sa lettre [21], il insiste pour que le Club admette Jean-Pierre comme membre de la Société et qu’on lui renouvelle sa carte.

Dans sa réflexion sur le rôle utile à jouer, et sans se couper des Cordeliers, qui peuvent servir de tribune et de soutien au projet de réimpression des Œuvres Politiques et Patriotiques de Marat, Albertine pense qu’il est de son devoir d’attaquer de front les allégations touchant à l’honneur de son frère.

Peu d’exemplaires originaux de ce texte de huit pages in-8° ont été conservés, mais, grâce à Alfred Bougeart, en voici le contenu intégral :


Réponse d’Albertine Marat aux détracteurs de l’Ami du Peuple

Quelque douloureux qu’il soit de renouveler des souvenirs affligeants, il est cependant nécessaire de le faire, pour lever les prétendus scrupules de ces petites âmes qui, nivelant tout à leur hauteur, se plaisent à répandre des doutes sur le dévouement volontaire de l’Ami du peuple, et sur les souffrances qu’il a éprouvées en défendant sa cause. Insensés qu’ils sont ! Marat n’était pas eux, voilà ma réponse.

Les démasquer n’est pas un grand triomphe ! Qu’ils rentrent seulement au fond de leurs cœurs, et l’horreur qu’il devra leur causer suffira pour venger ses mânes outragés.


Mais toi, bon peuple; toi, dont il fut l’ami, le père; toi, qui le vis s’élancer dans un cachot, fuyant les poignards des Necker, des Lafayette, pour te conserver ton défenseur, tu gémis et tu te tais !

Ah ! dis-leur, à ces vils scélérats, dis-leur ce que fut Marat. Mais non, garde le silence de l’indignation, laisse à sa soeur, à son amie, le soin de leur répondre.


Peuple, un jour viendra où tu sauras les sommes qu’on a employées pour chercher à perdre ton défenseur, et les moyens dont on a usé pour le détacher de tes intérêts. Ah ! si les actions des hommes se peignaient d’elles-mêmes sur la toile, tu le verrais, repoussant les trésors dont on cherchait à le corrompre, dire, comme Diogène: «N’espérez pas m’ôter ce qui n’est pas en votre puissance, ma vertu».


En 1791, ne pouvant plus résister aux persécutions des suppôts du despotisme qui le faisaient relancer dans ses humbles réduits où il trouvait un asile, il se résout à fuir et chercher, dans une terre étrangère, un abri où ses derniers soupirs te soient consacrés. Il part pour l’Angleterre, mais l’infâme Lafayette voulait ta perte, et, pour la consommer, il fallait anéantir ton ami. Rugissant d’avoir perdu sa proie, ses satellites sont en mouvement et le reconnaissent à Amiens; il leur échappe et retourne se jeter dans les bras de ce peuple pour qui il désire de vivre encore.


O vous, témoins de ses misères, je vous interpelle de dire la vérité. Dans quel état vîtes-vous Marat ?


Egoïste, toi qui ne juges le bonheur que d’après tes goûts, tu ne peux te persuader que cet homme se soit résolu de n'exister que pour ses frères. Rougis, et vois-le chercher à vivre au moment où tu eus désiré la mort.

Vois-le, supportant courageusement les fatigues et la misère (pour laquelle son âme altière n’était pas faite), souffrir ce que le dernier des malheureux n’eût pu supporter; seul, dans le plus affreux dénuement, puisqu’il fut obligé d’abandonner ses malheureux débris. Réfléchis et dis-moi: cet homme que tu affectes de dépeindre comme l’agent du despotisme eût-il éprouvé ce sort, s’il eût abandonné un instant les intérêts du peuple ?

Ne trouvant de secours qu’auprès des personnes peu fortunées, il eût succombé à ses malheurs. Peuple, ton bon génie en décida autrement: il permit qu’une femme divine, dont l’âme ressemblait à la sienne, consacrât sa fortune et son repos, pour te conserver ton ami.

Femme héroïque, reçois l’hommage que tes vertus méritent: oui, nous te le devons. Enflammée du feu divin de la liberté, tu voulus conserver son plus ardent défenseur. Tu partageas son sort et ses tribulations: rien ne put arrêter ton zèle; tu sacrifias à l’Ami du peuple et la crainte de ta famille et les préjugés de ton siècle. Forcée ici de me circonscrire, j’attendrai l’instant où tes vertus paraîtront dans tout leur éclat.


C’est un système reconnu que les ennemis de la liberté feignent de ne pas croire à la pureté des sentiments qui animent ses défenseurs; mais ces petits manèges sont usés, et les personnes éclairées ne sont pas dupes de ces lieux communs de la calomnie; et ceux même qui paraissent le plus douter de la situation où était Marat sont ceux qui en doutent le moins. Imbéciles que vous êtes, s’il ne vous reste que ce moyen, vous serez bientôt réduits au silence.

Vous l’avez vu réduit au plus grand dénuement, obligé, pour exister, à accepter les sacrifices qu’a faits pour lui sa compagne; mais cela ne vous suffit pas: vous souriez de ce qu’il n’a laissé que vingt-cinq sous ! Pauvres ineptes, ne riez  plus, ils n’étaient pas à lui, le hasard les avait placés dans ses papiers, pour consacrer votre infamie.


Non, Marat n’avait pas un sou; il n’avait que de l’honneur (richesse dont vous ne vous souciez guère), et la satisfaction d’avoir sacrifié sa fortune et sa vie pour ce peuple dont il voulut briser les fers.

Vous n’ignoriez pas que pour y parvenir il fallait l’éclairer. Sa feuille, qui paraissait tous les jours, lui était très-onéreuse, car elle ne lui rendait pas ses frais, et nécessitait journellement des sacrifices pécuniaires, pour parvenir à son but. Ce n’est donc pas par cette voie qu’il eût pu acquérir de la fortune, mais vous savez trop bien qu’il n’y aspirait pas: le bonheur du peuple, voilà son bien.

Et vous, organes d’une grande nation, mandataires du peuple, transigiez-vous avec la vérité, lorsque vous avez décrété qu’elle payerait ses dettes ?

Non, sans doute; qui mieux que vous connaissait cette innocente victime ?

Marat est mort pauvre, et ses amis n’ont pas à en rougir; s’il eût voulu, il eût été riche. Personne ne pourra le contester; mais il avait trop bien senti que l’amour des richesses ne pouvait se concilier avec celui du peuple, et il a préféré ce dernier.


De l’imprimerie de Marat [22]


Dans la deuxième moitié de septembre 1793, Albertine a aussi décidé de rester à Paris avec Simonne, tandis que Jean-Pierre Marat repart à Genève. Il fait établir une procuration générale en faveur de sa sœur. La reproduction de ce document assez long donne un aperçu du style avec lequel se traitait, à l’époque, ce genre de démarches, mais aussi des précautions particulières prises ici à propos des papiers de Marat et de leurs possibles détournements :


Pardevant les Notaires publics

au Département de Paris fut présent.

Cen Jean Pierre Marat citoyen frère du citoyen Marat l’ami du peuple demeurant rue de Marat section du même nom.

Lequel étant sur le point de retourner dans son pays natal a fait et constitué pour son procureur Général es-spécial Cenne Albertine, fille majeure demeurant susdite rue et section;


A laquelle il donne pouvoir de pour lui et en son nom, gérer et administrer de telle manière qu’elle jugera convenable, tous les biens appartenant au d. S. constituant, toucher tout ce qui peut lui être dû, soit par billet, obligation, lettres de change, mandat, cédules et à tels autres titres que ce soit; recevoir également de tous caissiers, payeurs et de telles personnes que ce puisse être toutes rentes tant perpétuelles que viagères, assignées sur les revenus de la République, même tous émoluments et grattifications qui pourront être accordées au constituant, de tous reçus donner quittances et décharges vallables, recevoir tous loyers et fermages, renouveller les baux [expirés] et stipuler toutes clauses et conditions qu’elle jugera nécessaire, augmenter les d. fermages, vendre également au meilleur prix, charges et conditions toutes maisons, fermes et autres biens appartenant au d. constituant, passer et signer tous actes, remettre tous titres et pieces, accorder pour le payement des d. objets vendus tous termes et delays, arrêter tous comptes et mémoires qui pourraient être dus par le constituant, les contester ou les admettre en cas de contestation, choisir des experts s’en rapporter à leur décision, de toutes sommes payées retirer quittance.


En cas de refus de payement des débiteurs ou de non conciliation avec les créanciers dudit constituant les faire citer par devant tous juges ou tribunaux de paix, faire dresser tous procès verbaux, y faire tout dire protestations et réserves, en cas de non arrangement les faire citer par devant les autres tribunaux, plaider, opposer, appeller, constituer hommes de loix et avoués en cause, traiter, transiger, composer, accorder termes et délays ; obtenir tous jugements et sentences définitives, les faire mettre à exécution, former toutes oppons tant mobiliaires qu’immobiliaires, en donner main levée conditionnelle et définitive, donner également main levée de toutes les oppons qui auraient pu être formées par le constituant, obliger le constituant à toute ratification d’actes, passer à cet effet tous ceux qui pourraient être nécessaires, faire pour lui élection de domicile.


Par les mêmes présentes le d. Cen constituant donne également pouvoir de prendre connoissance de l’inventaire fait après le décès du Citoyen Marat, demander l’examen de tous les papiers composant la d. succession, même tous les manuscrits et œuvres faits par le d. C. Marat, contester le droit à toutes personnes qui voudroient s’en dire l’auteur, se faire remettre par les d. contrefacteurs toutes copies ou imprimés des d. œuvres, les faire imprimer au nom des personnes qui pourroient en avoir droit ; faire tant au nom du constituant qu’au nom des héritiers tous marchés et devis avec tous les imprimeurs et libraires en cas de contrefactions, obtenir tous jugements et sentences, faire toutes saisies et revendications, en recevoir le montant, faire condamner les dits. contrefacteurs à tous dépens et dommages et intérêts, traiter, composer, substituer en tout ou parties des présents pouvoirs une ou plusieurs personnes, laquelle procuration vaudra [ ?] et généralement faire tout ce que les circonstances exigeront promettant [ ?] l’avouer et l’avoir pour agréable;


Dont acte fait et passé à Paris en l’étude, l’an mil sept cent quatre vingt treize deuxième de la République – le dix-sept septembre et a signé la minute des présentes demeuré en la possession de Me Dulion l’un des notaires à Paris soussigné


Et plus bas est écrit :


Enregistré à Paris le dix huit septembre mil sept cent quatre-vingt-treize  volume 45  

reçu vingt sols

signé Maillieu [23]


Albertine et Simonne, toujours en possession de l’imprimerie, vont maintenant affronter de plein fouet les événements de l’après-Marat.




NOTES

[1] Archives de la Ville de Neuchâtel – État Civil – Registre des Baptêmes, 1760.

[2] Lettre de Jean Mara du 16 mars 1770, Mss 1178, f. 300-301, Archives de la Société typographique de Neuchâtel à la Bibliothèque Publique et Universitaire.

[3] Lire sur ce site l’article consacré à  Simonne Evrard.

[4] Lettre du 15 novembre 1775, ibidem, p. 184-186. (mss original: Archives de la STN, Bibliothèque Publique et Universitaire de Neuchâtel). Voir sur ce site, dans la rubrique des Fables reloues, “La fable du voleur à Oxford” qui donne le contexte de l’ajout du t.

[5] Lire sur ce site le document consacré à David Mara(t) (De Boudry).

[6] Lettre de Jean-Paul Marat à F.-S. Ostervald du 14 mai 1776. Archives de la Société Typographique de Neuchâtel à la Bibliothèque Publique et Universitaire. Cette lettre a été publiée pour la première fois par Robert Darnton dans les Annales historiques de la Révolution française, 1996, pp. 447-449.

[7] Extrait du témoignage de Jacob Moré du 20 juillet 1793. Il appuiera les démarches d’identité du cadet : Jean-Pierre Marat, ce qui permettra à celui-ci de se rendre à Paris, après l’assassinat. Archives nationales F7 4385.

[8] idem.

[9] Actes notariaux du XVIIIe. Maître Jean-André Chenaud, volume 16, pp. 301-303. On peut formuler l’hypothèse que Jean-Louis Moré et Jacob Moré, un des conseillers curatélaires, sont apparentés.

[10] Archives cantonales vaudoises – ACV, Ea 8/1.

[11] Archives Nationales. F7 4385, carton 182/1.

[12] Archives de la Seine – Procès-verbal de la pose et de la levée des scellés au domicile de Marat, les 13, 14, 18, 19 et 26 juillet 1793.

[13] idem.

[14] Journal de la Montagne, n° 85 du 26 août 1793.

[15] Marianne Marat a épousé à Genève, dans le Temple de Saint-Gervais, Charles-Frédéric, fils de feu Jean-Abraham Oulevay, bourgeois de Bavois, bailliage d’Yverdon. Oulevay est le nom patois d’Olivier et les deux noms sont cités indifféremment. Cet Olivier s’était fait une spécialité dans l’art de conserver les insectes et plus particulièrement les chenilles et les araignées. Marianne et son mari Olivier, se prévalant de leur parenté avec Marat, essayeront, fin 1794, de s’installer dans la capitale. On a les traces des tentatives de ce beau-frère  de Marat d’obtenir un poste d’aide-naturaliste au Museum de Paris, ce qui ne lui sera pas accordé. Albertine montrait parfois à ses visiteurs une belle collection d’insectes morts, très bien conservés, qui lui venait de son beau-frère Olivier.

Bibliothèque de l’Institut, Manuscrits, fonds Cuvier, carton I, liasse 176, pièces 7 et 8.

Lire aussi : Bapst Germain, «Marat au Jardin des Plantes», Bulletin de la Société de l’Histoire de Paris et le l’Ile-de-France, 19e année, Paris, 1892, p. 89.

[16] Pour les détails sur la clandestinité de Marat: voir le Guide de lecture, tome VI des Œuvres Politiques de Jean-Paul Marat 1789-1793, Bruxelles : Pôle Nord, 1993, pp. 1019*-1027*.

[17] On pense au travail de Jacques De Cock sur Le Club des Cordeliers, Lyon: Fantasques Editions, 2001 et à celui de Guillaume Mazeau sur Charlotte Corday, Le bain de l’histoire – Charlotte Corday et l’attentat contre Marat 1793-2009, Paris : Champ Vallon, 2009.

[18] Garrioch David, The Making of Revolutionary Paris, Berkeley: University of California Press, 2002; Burstin Haïm, L’invention du sans-culotte: regards sur le Paris révolutionnaire, Paris : Odile Jacob, 2005 ; Sonenscher Michael, Sans-culottes : An Eighteenth-Century Emblem in the French Revolution, Princeton : Princeton University Press, 2008.

[19] On verra que, plus tard, même le Club des Cordeliers se laissera convaincre par Antoine François Momoro, président de la section du Théâtre français de continuer L’Ami du Peuple sous sa direction.

Et pendant l’hiver 1794-1795, René Lebois lancera encore un Ami du Peuple, dont les 16 premiers numéros sont rédigés par Chales et qui, à l’encontre de tout ce qu’en pensait Marat, portera aux nues sa panthéonisation!

[20] Moniteur du 10 août 1793, tome XVII, pp. 348-349.

Le détail de cette intervention figure dans le travail biographique, consacré, sur ce site, à Simonne Évrard.

[21] Fonds Barthélémy Saint-Hilaire, conservé à la Bibliothèque Victor Cousin - Copie des procès-verbaux de la Société des Cordeliers, volume 17, folio 34-3.

[22] Bougeart Alfred, Marat, L’Ami du Peuple, tome 2, chapitre XLIV, pp. 307-310.

[23] Ce document est retranscrit d’après l’original dont l’association POLE NORD possède une reproduction. Archives de Paris – Cote 1 AZ 108 p.12.