TEXTE DIRECTEMENT INSPIRE DE DOCUMENTS DES ARCHIVES NATIONALES DE FRANCE


Retranscription par le comité rédactionnel du site

                                                   

       “IL ETAIT UNE FOIS …”


Enquête sur Marat


    © POLENORDGROUP


Il était une fois des espions de police à la recherche d’un dénommé Marat dit l’Ami du Peuple…

Plantés rue Gît-le-Cœur depuis 9 heures du soir, ils sont un peu transis car la pluie tombe drue sur Paris, ce 10 septembre 1790. Ils se nomment Drouet, Leblanc, Beguer, Goisset et déjà, ils râlent sec contre ce particulier qu’ils ont mission de débusquer car il gêne la municipalité. Il gêne d’ailleurs aussi le «divin La Fayette», commandant général des gardes nationales. C’est qu’après avoir démontré que la famine était provoquée au sein de l’abondance par les autorités constituées, ne voilà-t-il pas que ce Marat s’ingénie à prouver que la Révolution sera bientôt terminée, si l’on continue à dresser les citoyens les uns contre les autres, comme à Nancy, par exemple.

Pas à dire, cet Ami du peuple est un empêcheur de dormir en rond !


Mais Leblanc, Beguer, Goisset et Drouet ne sont que des espions de police bien sages qui observent de tous leurs petits yeux ce qui se passe rue Gît-le-Cœur. Dame, faut faire son rapport ! Au panier à salade, l’Ami Marat, qu’on leur a signifié ! Seulement, c’est vite dit. Déjà que les colporteurs se trimbalent accompagnés de lurons costauds et embâtonnés. Alors comment s’y prendre pour le prendre?

Heureusement Dupont et Dupond ont un pendule.


«D’abord nous nous sommes disposés séparément pour tout voir sans être remarqués. Nous avons vu différents colporteurs sortir de chez la dame Meunier n° 4 et aller prendre des paquets de papiers rue de Savoie, à l’imprimerie d’André, au bureau du Journal des Municipalités. Frappant à la porte, ils se faisaient connaître par le mot Patrouille sur lequel on leur ouvrait.

Avant les colporteurs, nous vîmes deux hommes à la découverte. Apercevant une patrouille, ils ont fait rentrer les papiers. Alors un homme a suivi derrière. Ce travail a fini à près d’une heure et demie du matin.

Nous avons remarqué que pendant la pluie, on transportait sans interruption. On doit nous donner les noms des auteurs et les faire parler aujourd’hui ou demain. Nous sommes assurés que c’est la feuille de L’Ami du Peuple qui a été colportée. Nous suivrons cette affaire…»


«… le 11 septembre 1790 après-midi, sur les neuf heures, nous nous sommes rendus rue de Savoie où nous avons vu les mêmes manœuvres qu’hier. Le colporteur qui devait nous faire connaître les auteurs de L’Ami du peuple n’est pas venu. Nous nous sommes retirés à minuit lorsque les imprimeurs ont quitté.»


«Et le 12 septembre : D’après les renseignements pris sur le lieu où s’imprime la feuille qui a pour titre L’Ami du Peuple et signée Marat, il paraît très certain que c’est dans une chambre au troisième étage sur le derrière, maison occupée par la veuve Jean, maîtresse Maréchal, place Maubert, en face de la rue des Trois Portes. Tous les jours à cinq heures du soir, on voit s’y introduire un particulier vêtu d’une redingote blanche avec un chapeau rond, et peu de temps après qu’il est entré, la presse qui a été vue dans ladite chambre est mise en œuvre. On travaille jusqu’à trois heures du matin. A cette heure, un quidam sort de ladite chambre avec un sac rempli de papiers et prend chaque jour un chemin différent pour porter et déposer son sac rue Gît-le-Cœur chez la dame Meunier, chez qui se fait la vente desdites feuilles. Ils sont trois ouvriers restant habituellement dans ladite chambre et occupés à la susdite presse. Il arrive fréquemment que l’auteur que l’on soupçonne être celui qui ne vient qu’à onze heures du soir y passe les nuits pour suivre son ouvrage.

Il paraît très certain que chez le sieur André, imprimeur, rue de Savoie, entre les rues Pavée et Christine, Saint-André-des-Arts n° 9, on voit journellement aller un des quidams travaillant maison de la Saint-Jean. Et le vendeur les matins est aussi occupé à faire imprimer cette feuille. Il est impossible de s’introduire dans la chambre de la maison de la Saint-Jean ni d’y rien voir trop aisément. Il y a des rideaux aux fenêtres et à la porte d'entrée un double rideau que l’on entrouvre à peine aux personnes qui s’y présentent. La presse a été remarquée et beaucoup de papiers pliés dans le genre des feuilles Marat, entassés sur une table ou commode.

Il est très facile de s’introduire dans lesdites maisons dont les portes ne ferment qu’avec un loquet à secret que nous avons fait reconnaître.

La seule heure pour y faire une perquisition est une heure après minuit où l’on travaille à force.»


Puis le rapport devient moins personnel:


«Depuis le mercredi jusqu’à jeudi matin, les sieurs Goisset et Beguer ont constamment fréquenté la rue de Savoie où s’imprime encore la feuille de L’Ami du Peuple, tandis que les sieurs Leblanc et Drouet ont cherché à s’introduire dans les assemblées qui se tiennent aux Grands Augustins.

Mercredi soir, les sieurs Goisset et Beguer, revenant de la société rue Saint-Jacques n° 170 où ils ont appris que cette société était réunie à celle de la place Maubert et se tenait actuellement près de la rue Mouffetard dans le faubourg Saint-Marceau, sont entrés dans un café rue des Noyers où ils ont vu un des sociétaires buvant avec un chevalier de Saint-Louis. Leur entretien roulait sur les feuilles intitulées Jean Bart, le Père Duchesne et la brochure intitulée La Confédération de la nature. Le sieur Goisset recueillit leur conversation, aussi indécente qu’anti-révolutionnaire.

Un imprimeur est arrivé, leur a remis un imprimé qu’ils ont mis sous enveloppe. Alors, ils  sont sortis et sont allés rue de Savoie où ils ont rencontré le sieur de la Reynie qui est rentré sur-le-champ au bureau du Journal des Municipalités. Le sieur de la Reynie n’est ressorti que sur les une heure et demie avec les deux particuliers dont nous avons parlé. Ils se sont rendus chez la dame Meunier, rue Gît-le-Cœur n°4 où, un instant après, sont entrés deux colporteurs chargés de deux gros paquets. Jeudi matin, ils ont fait rencontre d’un de ces marchands de nouveautés rue Saint-André-des-Arts qui leur a dit que s’ils avaient quelque chose à remettre à Marat, il les conduirait à l’endroit où il est, que Marat est un homme malheureux, qu’il éclaire le public, qu’il vend sa copie 24 livres à l’imprimeur, qui lui en fournit 200 exemplaires qu’il vend ou qu’il envoie à ses correspondants. Il demeure, a-t-il ajouté, dans le fond d’un jardin où il a différentes portes de communication, qu’il ne sort que rarement et la nuit, armé de bons pistolets, que la feuille est imprimée tantôt chez Jorry, tantôt aux Cholets, tantôt rue des Postes dans le fond d’une cour et chez André rue de Savoie.»


Le 15 du même mois de septembre, Antoine Picard Desmarets, avocat au Parlement et commissaire au Châtelet de Paris en vertu des ordres à lui donnés par le maire Bailly, appuyé par La Fayette, effectue une perquisition en règle rue Gît-le-Cœur et saisit - une fois de plus - les presses de l’Ami du Peuple.


Les extraits proviennent des Archives Nationales, dossier E XXIX, n° 329



Quant à Marat, lui-même… si vous voulez savoir ce qu’il est devenu, lisez son journal, citoyens, c’est une saine lecture.