Jean et Jean-Paul Mara(t),

MEDECINS DE PERE EN FILS

 


Une lettre médicale manuscrite de Jean Mara, dans les fonds de la Bibliothèque Publique et Universitaire de Neuchâtel


par Charlotte Goëtz-Nothomb


Les bibliothèques recèlent des trésors ! Ainsi la Bibliothèque Publique et Universitaire de Neuchâtel possède-t-elle un bel exemplaire original, daté de 1793 (coté en ZR 882), de l’ouvrage théorique de base de Jean-Paul Marat, ses fameuses Chaînes de l’Esclavage. A l’intérieur du livre, je suis tombée sur deux feuillets, l’un portant des notes manuscrites de Marat, relatives à une copie de son Eloge de Montesquieu, dont on sait qu’elle resta assez longtemps entre les mains de la descendance du frère cadet, Jean-Pierre Marat, à Genève, l’autre étant une lettre à contenu médical, d’une belle écriture penchée. Cette dernière, d’un même élan, avait été attribuée à Jean-Paul Marat. Or, elle est datée du 27 décembre 1753 et, à cette époque, celui-ci a dix ans!


Discutant de cette découverte en 1995 avec Michel Schlup (ci-dessus), alors directeur de la BPUN de Neuchâtel, nous convînmes qu’en réalité, il s’agissait d’une lettre autographe de Jean Mara, le père de Marat. La calligraphie et la signature toujours identique correspondaient tout à fait avec les lettres que celui-ci échange régulièrement avec Frédéric-Samuel Ostervald, fondateur de la Société Typographique de Neuchâtel.

Voici la transcription du texte de Jean Mara, adressé à Monsieur De Roy, Châtelain de Couvet.


                                                                Monsieur,


                                    J’ai reçû votre lettre avec les vingt et sept pieces pour le

                                    payement des pilules dont je vous remmercie: si leur effet

                                    n’a pas été tel que je l’attendes et qu’elles l’ont produit en

                                    tous ceux qui en ont fait usage, c’est peut etre, ou que vous

                                    n’en avois pas pris quatre jours de suite comme je vous

                                    l’avois marqué, ou que les embaras des viscères, ou les

                                    obstacles de votre embompoint ne sont pas encor surmontés,

                                    cela demmandant huyt mois le plus souvent, c’est pourquoi

                                    il faudra insister dans leur usage de même que dans le

                                    regime que je vous avois prescrit: mais si cela ne suffisoit

                                    pas et que la difficulté de respiration n’étoit pas l’effet des

                                    glaires seulement mais aussi de la petitesse des vaisseaux,

                                    retressis par la graisse, il faudroit recourir aux poudres du

                                    Duc Albert ou à l’abstinence et à l’exercice pour vous

                                    degraisser: au reste soyez persuadé que l’usage des pilules

                                    ne produiront jamais un mauvais effet: en attendant vos

                                    ordres ultérieurs là dessus, j’ai l’honneur d’être avec respect


                                                                                                                    Monsieur                            

                                                                                  Votre tres-humble et tres obeis

                                                                                                 servit.    JMara


                                        Peseux

                                        27 Dbre 1753.


Le contexte de cette lettre est rappelé dans le “Chantier Marat 7 - La Saga des Mara(t)”, 2001, rédigé par Charlotte Goëtz-Nothomb pour les éditions POLE NORD de Bruxelles. On y rencontre la personnalité attachante de Jean Mara, ancien prêtre mercédaire, converti au protestantisme, lettré, pédagogue, possédant plusieurs langues et un talent de dessinateur. On le découvre, postulant à deux reprises pour un poste de régent de troisième classe au collège de Neuchâtel, ville où il a pu enfin s’installer grâce au soutien de “Milord Maréchal”, George Keith, le protecteur de Jean-Jacques Rousseau. On le trouve encore homme de confiance de la Société typographique, correspondant régulièrement avec le banneret, F.-S. Ostervald, véritable ami de la famille. On voit aussi en lui un homme vaillant, élevant courageusement sa nombreuse famille: trois filles et six fils.


En 1753, date de la lettre médicale, les Mara séjournent à Peseux. “Monsieur Mara” est signalé dans les registres de l’année. Mais la situation familiale est difficile, après les naissances rapprochées de deux petits garçons, dont l’un mourra peu après. Mais, cette fois encore, Jean Mara bénéficie d’appuis solides. Et il soigne le châtelain de Couvet. Ses compétences médicales seront encore reconnues lorsque la famille sera réinstallée à Genève.


C’est donc bien auprès de son père que Jean-Paul Marat puise son intérêt scrupuleux pour cette discipline, dans laquelle il se signalera par des travaux originaux, entre autres sur les maladies vénériennes, l’électricité médicale et l’ophtalmologie.


Comme ce père, mais aussi comme William Buchan, un de ses deux parrains à l’Université Sint-Andrews d’Ecosse, où Marat obtiendra, comme Benjamin Franklin, son diplôme, le fils aîné des Mara se comporte en pionnier de l’observation clinique. Ainsi, il pratique l’ophtalmologie en associant étroitement la physiologie et ses connaissances approfondies en optique et ne néglige ni la présence assidue auprès des patients, ni la prise en compte de leurs vécus spécifiques.

En ophtalmologie, sa théorie accommodative grâce aux fibres circulaires environnant le cristallin est progressiste, alors qu’elle était seulement admise à propos des muscles droits. Très intéressants aussi l’accent mis sur le danger de l’usage trop automatique du mercure, sa notion d’astigmatisme irrégulier dû à l’engorgement rétrooculaire, son application très précise de l’électrothérapie et sa méthode d’évaluation du punctum proximum.


Le domaine de l’optique a monopolisé son attention. Ses travaux théoriques depuis les Découvertes sur le feu, l’électricité et la lumière jusqu’aux Mémoires académiques, attireront sur lui l’intérêt de personnalités éminentes, comme Goethe, Franklin ou Romé de l’Isle, à défaut de plaire à l’Académie des Sciences de Paris. Ils se situent dans la filiation de Newton, que Marat admire beaucoup mais trouve aussi logique de contester. Il ne faut pas oublier que la réédition en 1989 de Opticks de Newton (Paris - Editions Bourgois), avec les commentaires si intéressants de Michel Blay, s’appuie toujours sur la traduction de Jean-Paul Marat.


Comme son père, comme William Buchan [1], Marat a une vision réellement thérapeutique de la médecine, qui ne s’embarrasse pas des “systèmes”.

A Londres et à Paris, il ouvrira des cabinets où des expériences avérées et toujours plus précises se feront et se répéteront sous les yeux du public et attesteront de son sérieux comme de son souci de faire progresser les connaissances pour soulager les souffrances des hommes.


[1] Buchan William (1729-1805), Domestic Medicine or The Family physician, 1769.

Traduit de l'anglais par J. D. Duplanil, Paris : Froullé, 1783:

Buchan Guillaume, Médecine domestique, ou Traité complet des moyens de se conserver en santé, de guérir & de prévenir les maladies par le régime & les remèdes simples [...]

Charlotte Goëtz-Nothomb

Michel Schlup